I. - Les rectifications territoriales post-soviétiques manquées

En 1992 et les années suivantes, dans le contexte de dislocation de l'URSS et de grave affaiblissement de la Russie, l'occasion a été manquée de prendre des décisions importantes pour établir un équilibre plus durable en Europe de l'Est.

1) L'enclave soviétique de Kaliningrad (ex Königsberg) n'avait jamais été un territoire russe avant l'arrivée de l'Armée rouge en 1945. Il n'était pas question évidemment de la rattacher à l'Allemagne. Mais elle aurait dû logiquement être divisée entre la Pologne et la Lituanie.

2) D'autre part, au sujet des populations russes imposées de force dans les pays baltes, principalement en Estonie et Lettonie, il aurait fallu un plan de rapatriement en Russie, progressif, dans des conditions parfaitement humaines, avec les compensations nécessaires.
Comme cela n'a pas été fait, cela reste un sujet de tension permanente dans ces petits pays faibles qui n'ont pas besoin de cette fragilité supplémentaire.
Situation qui, en plus de la fracture nationale qu'elle induit, peut offrir à Moscou un moyen de pression interne, voire un éventuel argument d'intervention directe.

Mais cette non décision a correspondu à l'idéologie mondialo-occidentale dominante visant, dans toute la mesure du possible, à ne pas remettre en cause les dispositions territoriales grosses d'affrontements futurs et à fracturer l'homogénéité des peuples à l'intérieur des États.

Tout en prétendant vouloir agir pour la paix, cela a pour effet de renforcer la toute première cause de conflit grave.
Pour se limiter à la période contemporaine, depuis 1945, dans presque tous les conflits sanglants, même plus ou moins mêlée à d'autres facteurs, on constate un ressort essentiel : la présence importante de peuples différents à l'intérieur des mêmes frontières.

L'analyse de ces conflits permet de le vérifier. Il n'y a qu'à en dresser la liste impressionnante. Cela se vérifie aussi dans le cas russo-ukrainien.

Il est frappant de constater le paradoxe apparent de la convergence de la politique mondialiste, prédominante dans la diplomatie occidentale, avec celle des anciens dirigeants soviétiques, de mélanger les peuples pour leur interdire une pleine existence et une politique nationales.
Situation funeste dans laquelle la France, pour les mêmes ressorts politiques pervers, se trouve maintenant tragiquement placée.

Puisque le visible objectif final des puissances prédominantes désormais en Occident est d'aboutir à l'effacement général des nations.

À l'est, on constate que les dirigeants occidentaux, prétendument démocratiques et droit-de-l'hommistes, tiennent à maintenir les décisions totalitaires de Lénine et de Staline...

3) On constate aussi les effets funestes de cette attitude avec le cruel exemple arménien. À la dislocation soviétique, il était impératif de rattacher officiellement le Haut Karabakh à la nouvelle république indépendante d'Arménie. Et même de corriger l'anomalie du Nakhitchevan, autre région arménienne arrachée de force à l'Arménie par le pouvoir soviétique.

Cela aurait ôté le prétexte d'agression de l'Azerbaïdjan et réduit ses possibilités d'action contre l'Arménie. Il est remarquable de constater le peu de soutien de l'Europe à ce petit pays à l'histoire malheureuse, qui ne menace personne, et de civilisation de fond européenne. Le fait qu'il ait été le premier État chrétien de de l'Histoire ne plaide visiblement pas en sa faveur auprès des autorités européennes...
Elles ont d'ailleurs décidé officiellement d'effacer la référence chrétienne des fondamentaux civilisationnels de l'Europe.

Nota : On se rappelle que les pays occidentaux sont entrés en guerre pour le Koweit, pays de loi islamique. On peut craindre fortement qu'il n'en serait pas de même si l'Azerbaïdjan et la Turquie dépeçaient et se partageaient l'Arménie européo-chrétienne, comme ils en ont l'envie mal dissimulée. Sans la présence de la Russie, cela aurait déjà pu se produire.

4) L'éclatement de l'URSS aurait dû également être l'occasion de discuter sérieusement et négocier la question des frontières artificielles à l'est de l'Ukraine, décidées en tout arbitraire par les dirigeants soviétiques, dont la chute de leur régime totalitaire privait leur découpage de légitimité internationale : soit par rectification de frontières ou, au moins par un statut acceptable des régions de l'est, un compromis suffisant était possible.
C'était finalement l'objet des accords de Minsk, mais que les deux grands signataires européens, la France et l'Allemagne, n'ont pas fait respecter par le pouvoir ukrainien.

Faute de cette diplomatie de bon sens, on se trouve là directement à l'origine des complications ultérieures, qui ont mené par étapes successives à la guerre actuelle.

II. - Simple questionnaire de réflexion au sujet du principe déclaré intangible du respect absolu du droit international

Sur chacun des faits historiques suivants, relevés parmi d'autres de l'époque contemporaine, il y a quatre questions à se poser objectivement.

A) En 1962, sous la présidence Kennedy, les États-Unis décident le blocus d'un petit État indépendant, l'île de Cuba.

  1. Était-ce conforme ou non au droit international ?
  2. Les États-Unis avaient-ils des raisons légitimes ou condamnables de le faire ?
  3. Les conséquences en ont-elles été plutôt bénéfiques ou plutôt néfastes ?
  4. Les pays de l'Europe de l'Ouest ont-ils pris des sanctions économiques contre les États-Unis ?

B) En 1967, l'État d'Israël attaque les territoires voisins de l'Égypte et de la Syrie.

  1. Était-ce conforme ou non au droit international ?
  2. Avait-il des raisons légitimes ou condamnables de le faire ?
  3. Les conséquences politiques en ont-elles été plutôt bénéfiques ou plutôt néfastes ?
  4. Les pays d'Europe de l'Ouest ont-ils pris des sanctions économiques contre cet État ?

C) En 1983, sous la présidence Reagan, les États-Unis envahissent militairement le petit État indépendant de l'île de La Grenade.

  1. Était-ce conforme ou non au droit international ?
  2. Les États-Unis avaient-ils des raisons légitimes ou condamnables de le faire ?
  3. Les conséquences politiques ont-elles été plutôt bénéfiques ou plutôt néfastes ?
  4. Les pays Europe de l'Ouest ont-ils pris des sanctions économiques contre eux ?

D) En 2020, l'Azerbaïdjan attaque et envahit la région arménienne de l'Artsakh, appelée aussi Haut Karabakh. Invasion arrêtée, avec retard, et partiellement, par une intervention politique russe.

  1. Était-ce conforme ou non au droit international ? (question piège) Même question au sujet de l'intervention russe.
  2. L'Azerbaïdjan avait-il des raisons légitimes ou condamnables de le faire ? Même question au sujet de l'intervention russe.
  3. Les conséquences de l'invasion azerbaïdjanaise ont-elles été plutôt bénéfiques ou plutôt néfastes ? Même question au sujet de l'intervention russe.
  4. Les pays d'Europe de l'Ouest ont-ils pris des sanctions économiques contre le pays agresseur ?

On pourrait prendre d'autres exemples (comme ceux des guerres aériennes menées contre la Serbie en 1999, puis la Libye en 2011, dont nous n'avons vraiment pas à nous réjouir des conséquences.

Cet échantillon peut permettre de réfléchir à la relativité des choses, entre les dispositions du droit théorique et les implications concrètes du réel.

III. - Un cas d'école

Même en l'absence de toute sympathie pour Saddam Hussein et son régime, on ne peut se dispenser de prendre en compte les faits patents.

Si l'on applique le questionnaire précédent à la guerre d'Irak de 2003, les réponses ne font pas de doute.

1re question

L'attaque et l'invasion de l'Irak par les armées américaine et britannique, étaient manifestement contraires au droit international.

2e question

Les raisons invoquées par le gouvernement américain étaient clairement fausses.

  • L'Irak n'était pas à l'origine des attentats meurtriers du 11 septembre 2001. C'était même un ennemi d'Al Qaïda. Si, en dehors de l'Afghanistan, des éléments d'un pays pouvaient être en partie impliqués, ils étaient à chercher du côté de l'Arabie Saoudite.
  • L'Irak ne représentait aucunement une menace grave pour les États-Unis.

Les armes de destruction massive invoquées n'ont jamais été trouvées (comme l'avait déjà annoncé le rapport de l'AIEA, l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique). Il s'agissait d'un énorme mensonge international, auquel s'était prêté d'une façon caricaturale à l'ONU le Secrétaire d'État Colin Powell (ce qu'il a dit plus tard avoir amèrement regretté).

Ajoutons le scandale du gouvernement Bush d'avoir révélé le rôle d'agent secret des États-Unis de l'épouse de l'ancien ambassadeur Joseph Wilson qui avait produit un rapport démontrant la fausseté du prétexte invoqué des commandes d'uranium de l'Irak en Afrique.
Trahison relevant du crime fédéral, qui normalement aurait dû conduire leurs décideurs à l'inculpation et une lourde peine de prison. (Seul un second couteau, comme fusible, fut finalement condamné, assez modérément, et gracié dans la foulée par George W. Bush...)
Mais, comme en France, sans parler des dictatures et autres républiques bananières, dans la grande démocratie américaine, les gens au pouvoir sont toujours protégés (y compils par la connivence de fait de leurs concurrents politiques quand, au-delà des rivalités personnelles, ils partagent des options de fond comparables).

Le cas inverse de l'acharnement frénétique du parti démocrate contre Trump permet d'y réfléchir.

3e question

Si le régime irakien était bien une dictature, comme aussi dans la plupart des autres pays musulmans du Proche-Orient, il n'en reste pas moins que les conséquences de l'invasion de 2003 ont été non seulement néfastes mais catastrophiques, sans profit politique pour le monde occidental. Particulièrement celles-ci :

  • Plusieurs milliers de soldats américains tués, et des dizaines de milliers blessés, inutilement. (Remplacer un régime sunnite anti iranien par un régime chiite pro iranien...)
  • Un nombre énorme de victimes militaires, et encore plus civiles, irakiennes.
  • La prise du pouvoir chiite sur place, faisant de l'Irak un allié régional de fait du régime iranien des ayatollahs, alors que c'en était un ennemi déclaré auparavant.
  • Le surgissement du monstre politique de l'État islamique de Daech, encore pire qu'Al Qaïda, avec ses affreuses conséquences pour les populations locales.
  • Les conséquences désastreuses pour les chrétiens d'Orient, obligés de fuir en masse des territoires où ils vivaient depuis deux millénaires.

Quant à l'objectif annoncé d'établir la démocratie dans l'ensemble des Proche et Moyen-Orient, parfaitement illusoire d'avance dans ces conditions, on a vu ce qu'il en a été.

Avec aussi le contrecoup de l'ébranlement politique du Proche-Orient, entraînant en particulier la terrible guerre interne de Syrie qui, sans la Russie, aurait abouti à la victoire des islamistes et à la constitution de l'équivalent d'un nouveau Daech territorial.
Et à l'écrasement total de ce qui reste de chrétienté dans le pays.

Au lieu de déclencher cette catastrophe humaine et politique, les États-Unis pouvaient rester largement maîtres du jeu diplomatique dans le région en jouant habilement des rivalités profondes des différents pays locaux.

Mais c'est sous l'impulsion de ceux que l'on appelle, de façon profondément impropre, les << néo conservateurs », venus en bonne partie à l'origine de l'extrême gauche (les Wolfowitz, Perle, etc.) qui ont exercé une emprise mentale décisive sur George W. Bush (de la même façon qu'aujourd'hui la gauche démocrate avec Joe Biden), à l'occasion du 11 septembre.
C'est le fameux « Nine Eleven » traumatique qui a permis de faire basculer aveuglément le président et l'opinion, frauduleusement orientés contre l'Irak, en fonction d'intérêts qui n'étaient politiquement pas véritablement américains.
Faute que n'avait pas commise George Bush père après la guerre du Koweit.

4e question

Les pays d'Europe de l'Ouest (hors du Royaume-Uni, partie prenante dans l'invaSion), qui pourtant sont au premier rang pour brandir les principes du droit international, n'ont décrété aucune sanction contre les pays agresseurs...

Le refus de la France de s'associer à l'attaque, avec le discours de Villepin aux Nations Unies, fut pratiquement la seule bonne décision politique importante de la présidence Chirac; qui fut pour le reste lamentable.

De même que le discours de Bonn en 1983 de Mitterrand sur les euromissiles. Ce qui n'efface pas que ce dernier fut auteur par ailleurs d'une double présidence désastreuse pour la France; et dont nous subissons toujours les conséquences, de plus en plus aggravées de jour en jour.

IV. - Un évident paradoxe non souligné

Depuis 2022, avec le nouveau développement du conflit armé régional du Donbass, l'attitude des pays occidentaux, particulièrement en Europe de l'Ouest, envers la Russie est la suivante.

  • Ils décident des trains de lourdes sanctions économiques, de plus en plus aggravés (y compris à leur propre détriment).
  • La décision est prise d'interdire totalement le gaz russe en Europe (assortie du sabotage international de deux grands gazoducs, sans réaction officielle).
  • Les pays de l'Otan fournissent à l'Ukraine une importante aide économique et militaire contre la Russie (mercenaires, personnels spécialisés, armements lourds et armes nouvelles de pointe, renseignement spatial, etc.).
  • Les sportifs russes sont exclus des compétitions internationales.
  • Les artistes russes de même des prestations culturelles en Occident.
  • Les médias ayant des liens avec la Russie sont interdits.
  • La grande presse et les médias audiovisuels dominants prennent des positions entièrement hostiles à la Russie.
  • Les petits médias indépendants plus nuancés sont ostracisés sur les grandes ondes. Les positions qui ne sont pas totalement antirusses sont condamnées avec véhémence.
  • Les dirigeants occidentaux multiplient les déclarations hostiles et les condamnations publiques de la Russie.

Avant 1989, dans le contexte très tendu de la guerre froide, de paix armée autour d'un rideau de fer, impliquant l'ensemble du continent européen, l'attitude des pays d'Europe de l'Ouest envers l'URSS était la suivante.

  • Des échanges économiques, limités mais réels, étaient maintenus.
  • Le gaz soviétique était acheté en Europe.
  • Aucune aide militaire n'était envoyée aux pays européens attaqués et totalement envahis par l'armée soviétique (la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968).
  • Les sportifs soviétiques participaient à toutes les compétitions internationales.
  • Les artistes soviétiques pouvaient se produire en Occident.
  • Des journaux favorables au régime soviétique paraissaient librement. En dehors d'eux, une bonne partie des médias critiquaient le régime et la politique de l'Union soviétique, mais aussi une autre partie d'entre eux se montraient plus nuancés et penchaient vers les accommodements et les compromis, pour une politique d'apaisement et de coopération.
  • Les prises de position totalement antisoviétiques étaient souvent jugées excessives et traitées d'« anticommunisme primaire », comme une disposition d'esprit moralement suspecte voire condamnable.
  • Les dirigeants occidentaux discutaient régulièrement avec les dirigeants soviétiques, signaient des accords de « détente » et, en certaines occasions, se congratulaient et festoyaient ensemble au champagne, avec l'approbation massive des médias.

Ces nettes différences étant posées, les situations géopolitiques respectives des deux époques sont à comparer.

  • En 2022-23, les forces de la Russie occupent, en dehors des frontières précédentes, environ 100 000 km2 sur la bordure est du territoire officiel de l'Ukraine, peuplée principalement d'environ sept millions d'habitants majoritairement pro-russes.
  • Avant 1989, les forces soviétiques occupaient entièrement quatorze pays d'Europe centrale et de l'Est, sur environ 2 000 000 km2, où vivaient des populations de plus de 160 millions d'habitants, en grande majorité totalement opposées à cette domination (comme le basculement politique général de 1989 l'a prouvé).

On peut y ajouter le cas de la Géorgie et de l'Arménie (sans parler de six pays d'Asie centrale).

Il y aurait bien sûr de nombreux commentaires pour accompagner ces deux situations. Malgré cela, l'évidente disproportion massive des attitudes des États européens entre une situation et l'autre conduit à s'interroger et à réfléchir sérieusement sur la mentalité profonde de leurs dirigeants et de leurs médias représentatifs.

V. - Post-scriptum impubliable mais non gratuit néanmoins

Sujet actuel de méditation et de prière

Au point où en est parvenue la guerre d'Ukraine, il est clair que le président Zelensky s'efforce de faire le maximum pour entraîner les pays de l'Otan, et donc aussi la France, dans un conflit général contre la Russie, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer.

Tout cela pour l'enjeu de l'équivalent de quelques départements français sur la frange est du territoire officiel de l'Ukraine, qui n'auraient jamais dû en faire partie sans la décision abusive et perverse de l'ancien pouvoir bolchevique.
Et pour le rejet d'un statut international de neutralité, comme jusqu'ici celui de la Finlande depuis 77 ans, qui a préservé la paix et ne l'a pas empêché de mener son existence nationale propre.

Plutôt qu'accepter un compromis raisonnable, l'ancien histrion promu président par une manœuvre des oligarques, préfère risquer d'ensevelir l'Europe sous les bombes. Le Volodymir de 2023 apparaît proche des dispositions d'esprit de l'Adolf de 1945 (à la différence que ce dernier n'avait pas de porte de sortie possible).

Les dirigeants européens, qui ont pourtant tous les moyens de l'éviter, mais visiblement de plus en plus lobotomisés par l'Oncle Sam, iront-ils, en y entraînant leurs peuples, jusqu'à le suivre dans cette voie ?

La question, tragiquement, est désormais ouverte.